Quand on parle du périnée, on évoque forcément le nom de Bernadette de Gasquet ! Médecin et professeur de yoga, elle a bouleversé le monde obstétrical et est devenue une spécialiste du périnée. Ses livres se vendent comme des petits pains, son nom est connu de toutes celles qui ont accouché.
Depuis quelques années, notamment depuis mes deux grossesses, j’admire particulièrement le travail de Bernadette de Gasquet. J’ai lu plusieurs de ses livres et cela a entraîné des prises de conscience majeures lors de mes grossesses et dans ma façon de faire du sport. Je vous laisse découvrir le parcours brillant et atypique de cette femme qui a révolutionné le monde de l’accouchement.
Son enfance
Bernadette de Gasquet est née à Perpignan au mois de Juillet de l’année 1946. A l’âge de 5 ans, son père étant malade, sa famille déménage à la campagne. Elle grandi dans une ferme de la haute vallée de l’Aude, très isolée, sans route pour y aller, loin des écoles, loin de tout. Ses parents n’étaient pas des paysans et découvraient cette nouvelle vie dans la nature auprès des animaux avec des yeux d’enfants. Bernadette de Gasquet n’est pas allée à l’école maternelle et primaire, la ferme étant trop loin du hameau où se trouve l’école. Libre au milieu des animaux, qui resteront ses modèles d’observation, elle étudie à la maison avec sa mère et les cours par correspondance.
Ses études
Elle a eu une enfance heureuse et très libre. A partir de la 6ème, elle part en pensionnat et ne rentre chez elle que pour les vacances scolaires. Elle devient le souffre-douleur d’un groupe de filles parce qu’elle est différente, habillée différemment, coiffée différemment, ce qui ne l’empêche pas de se montrer plus intelligente. Une vision non conventionnelle, très autodidacte, qui passe avant tout par le ressenti, l’instinct et le bon sens, en dehors des modes et des influences éphémères. Bonne élève en français et en mathématiques, elle choisit un bac C. Cet enseignement comporte comme matières principales les mathématiques, la physique-chimie et la philosophie, la biologie, l’éducation physique et sportive. Pendant sa première année à la Fac de Sciences, elle attrape une hépatite A, ce qui la met à plat et perd une année. Elle enchaine avec une première année à la Fac d’Economie et en parallèle une première année à Sciences Po Toulouse.
Sa vie à Paris
Elle se marie à 20 ans à la fin de sa première année de Fac. Son mari, haut fonctionnaire de la fonction publique est muté à Paris. Elle suit son mari et continue ses études d’économie à Assas (Université Panthéon-Assas Paris II). Elle n’est pas passionnée mais termine ses 4 années d’études et décroche son diplôme de Maitrise. Ne voulant pas travailler dans les domaines de la banque et l’assurance, elle décide de poursuivre ses études à Sciences Po Paris et en même temps à Dauphine (Université Paris Dauphine). Elle suit les cours de Jacques Delors. Dès les années 1960, Jacques Delors appelait à un droit pour l’éducation tout au long de la vie. La loi Delors (1971) fonde aujourd’hui le système de formation professionnelle continue en France. En 1972, Bernadette de Gasquet fait un stage de 6 mois chez KODAK pour mettre en diapositives la loi Delors sur la formation continue. Elle devient ainsi la spécialiste française de la formation continue. Toutes les grosses entreprises françaises souhaitent découvrir le diaporama sur ce nouveau dispositif. A l’issue de son stage, l’entreprise KODAK lui propose de l’embaucher. Mais à cette époque, la compagnie KODAK, on se marie avec elle jusqu’à la fin de sa vie. Personne ne quitte l’entreprise. Bernadette de Gasquet répond qu’elle s’est déjà mariée à 20 ans et qu’elle n’a pas envie de se marier avec l’entreprise tout de suite. Elle refuse donc cette opportunité professionnelle ce qui déclenche un scandale dans son entourage. Entre temps, elle est embauchée dans un cabinet de conseil pour conseiller les entreprises sur la création de leur plan de formation, l’installation de service de formation, ce qui la passionne et lui permet de découvrir de nouveaux corps de métier.
Son premier job
L’envie de voyager l’anime et elle essaie de postuler chez Air France qui n’embauche pas de femmes à cette époque. Faute de mieux, elle postule à la SNCF et termine le parcours d’embauche qui dure 6 mois. Au dernier entretien, elle apprend que la retraite des femmes (agents féminins) n’est pas la même que celle des agents masculins, idem pour les avantages en nature (nombre de voyages pour la famille). Par principe, elle refuse finalement le poste. Elle accepte un job aux PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones) au service formation pour créer des programmes de formation afin de préparer la séparation Poste et Télécommunications.
Sa découverte du yoga
Bernadette de Gasquet a toujours détesté la gym et commence à s’intéresser au yoga à 24 ans. Le yoga n’est pas connu à cette époque et son mari voit cette pratique d’un très mauvais œil. Elle pratique le yoga une fois par semaine et commence à enseigner le yoga à ses collègues de boulot entre midi et deux. Elle créée la section de yoga de l’association sportive des PTT et continue à se former pour devenir professeur de yoga auprès de l’Ecole Française De Yoga (rue Aubriaut).
Sa prise de conscience
A 27 ans elle attend son premier enfant et ressent, lors de son accouchement, la poussée reflexe qui fait naitre son bébé sans avoir à faire d’efforts expulsifs. Le « hasard » a fait que les sages- femmes étaient ce jour-là débordées et qu’il n’y a pas eu de direction du travail ni de l’expulsion.
En 1978, après la naissance de ces deux premiers enfants, une obstétricienne lui demande alors de travailler sur le yoga et la douleur de l’accouchement, avec l’équipe de sages- femmes de Port Royal à Paris. A cette époque, on ne pensait même pas que la péridurale pourrait exister un jour, il n’y avait rien pour soulager les douleurs pendant l’accouchement. Les sages-femmes questionnent Bernadette de Gasquet sur le déroulement de ses accouchements. Elle leur explique qu’elle n’a jamais « poussé » lors de la naissance de ses enfants, que cela s’est fait naturellement, que ça pousse tout seul et passe pour une femme « anormale ». Les sages-femmes s’en étonnent ! Elle se pose alors des questions et commence à regarder l’histoire de l’obstétrique dans les livres et découvre que la poussée est bien décrite avec plein de positions différentes à travers les peuples, tous les peuples, sauf le nôtre ! Cette obstétricienne lui propose alors de rencontrer ses patientes en cours de grossesse pour les préparer à l’accouchement à l’aide du yoga. Bernadette de Gasquet commence donc à donner des cours de yoga (dans son salon) à des futures mamans, et trouve empiriquement avec elles des réponses que le yoga peut apporter aux problèmes mécaniques de la grossesse. C’est le premier yoga prénatal !
En 1980, lors de sa troisième grossesse, elle rencontre Jacques Thiebault aux assises du yoga à Avignon. Ce kinésithérapeute, professeur de yoga et professeur de judo est un véritable « chercheur en mouvement ». Il analysait les principales postures du hatha yoga en se posant la question : pourquoi fait-on ça, qu’attend-on de la posture ? Cette approche biomécanique correspondait exactement à l’application du yoga à la grossesse : une même posture pouvait être source de grand bien être pour l’une ou de tension pour l’autre, et les effets variaient au fil des mois. Jacques et Bernadette collaborent alors pour proposer un yoga sans dégâts, et elle l’adapte spécialement à la femme enceinte.
Après une disponibilité de 3 ans, elle ne retourne pas aux Télécoms et démissionne. Passionnée par le yoga et la maternité, elle décide de poursuivre ses recherches. Elle a l’adhésion des mères mais les positions et respirations appliquées dans les maternités sont totalement à l’opposé de ce qu’elle observe. Mauvaises bascules du bassin, position demi- assise pour le travail, position gynécologique pour la poussée, respiration thoracique, poussée « bloquée ». Bernadette de Gasquet propose d’autres positions d’accouchement (sur le côté, à quatre pattes, en suspension) ou du moins des adaptations de la position gynécologique, qui modifient les dimensions du bassin et détendent le périnée. Elle insiste pour attendre le réflexe expulsif ou pousser en expirant pour éviter les descentes d’organes.
Son challenge
Elle comprend alors que pour faire passer ses messages, il faut être reconnue dans le monde médical et pouvoir appuyer son ressenti et sa pratique sur une base scientifique et anatomique. Elle veut légitimer ses recherches et décide à 38 ans, avec 3 enfants (son dernier enfant à 4 ans), de faire des études de médecine. Elle étudie à la faculté de médecine de Bobigny car avec un Bac Littéraire en poche, c’est la seule faculté qui ne sélectionne pas les candidats sur les matières Mathématiques et Physique-Chimie. Elle réussit le concours du premier coup, juste juste ! Elle est alors lancée pour 8 années d’étude de médecine. Elle enregistre beaucoup ses cours sur des cassettes audio et les écoute en faisant la vaisselle, en faisant ses courses, en amenant ses enfants à l’école. En parallèle, elle continue de donner des cours de yoga le soir et le week-end. Elle divorce en cours de route.
Bernadette de Gasquet obtient son diplôme à 46 ans. Elle choisit de réaliser sa thèse sur l’incontinence due à l’accouchement. Sa thèse reçoit le prix de la Fondation de France (fondation Polivex pour la recherche sur l’incontinence) en 1994, à l’unanimité du jury de la SIFUD (Société internationale francophone d’urodynamique). Elle devient la spécialiste du « périnée féminin ». C’est d’ailleurs le titre du film qu’elle a réalisé en collaboration avec Alain Bourcier déjà en 1984. Très avant gardiste, ce film montre une femme enceinte découvrant son périnée dans différentes postures, en fonction de la respiration et selon le type de poussée. Alain Bourcier est celui qui a ramené la rééducation périnéale en France, il a découvert les exercices de Kegel aux Etats-Unis. Il apprend à Bernadette que l’on peut évaluer son périnée par un testing. Ils commencent alors des expériences pour évaluer la force du périnée dans différentes positions (debout, assise, à quatre pattes, quand on serre les fesses, quand on serre les abdos…).
Sa conquête du monde
En 1994 sort son livre « Bien être et maternité » chez un petit éditeur d’abord (un couple qu’elle avait préparé à l’accouchement), repris ensuite en 2009 par Albin Michel. Ce livre traite, à partir du yoga et d’explications biomécaniques, le prénatal, l’accouchement et l’après bébé. Des questions-réponses pour comprendre et connaître son corps. Il comprend 350 photos de postures et de nombreux schémas. C’est la bible de toutes les sages- femmes sur le travail corporel.
Elle commence à former des sages-femmes sur le périnée d’un point de vue biomécanique, avec Jacques Thiebault, sur la poussée et sur la protection du périnée. Dans les années 2000, elle développe la biomécanique- materno foetale selon les positions d’accouchement en collaboration avec une ostéopathe. Est-ce que ce qui est bon pour la mère est bon aussi pour le nouveau-né ? Elle introduit alors l’accouchement sur le côté, l’accouchement à quatre pattes et accroupie – suspendue. Les médias ont commencé à en parler et à partir de là, il y a eu un engouement de la part des maternités. Les maternités ont voulu se former rapidement à ces nouvelles pratiques (80% des maternités formées en France aujourd’hui), ainsi que de nombreuses écoles et beaucoup de sages-femmes libérales. Elle a donc eu besoin de formatrices et a recruté par cooptation des sages-femmes.
Sa consultation en périnéologie, aux Bluets, et ses recherches amènent Bernadette de Gasquet à explorer les effets néfastes des autres pressions et toutes les poussées, notamment dans les domaines suivants : le sport (abdo type crunch), les pathologies respiratoires, la poussée pour aller à la selle (problème de constipation), la vie quotidienne. Son livre « Abdominaux, arrêtez le massacre » (première édition en 2003) la fait connaitre chez les coachs sportifs et surtout chez les kinésithérapeutes. Elle dénonce les séries classiques de crunch et pédalages. Son livre est aujourd’hui vendu à plus de 200 000 exemplaires.
Bernadette de Gasquet s’intéresse également beaucoup à la vie des nouvelles mamans après la naissance de bébé. Elle est aussi le précurseur dans le domaine des suites de couches. Son livre « Six semaines après bébé » (2018) explique que beaucoup de choses vont se passer dans les 6 semaines suite à l’accouchement du côté de la mère. Pour elle, tout l’avenir gynécologique dépend des suites de couches. Il est possible d’éviter des désagréments dans les 6 semaines suivants l’accouchement. Bernadette de Gasquet voyage à travers le monde à la recherche de pratiques de bon sens, universelles, ou de particularités culturelles remarquables. Elle est inspirée par les traditions et regrette qu’elles soient écartées au profit de la modernité à tout prix. Rien n’empêche d’allier les bienfaits de la médecine moderne en accouchant sous surveillance médicale, aux savoirs faires traditionnels qui ont montré leur intérêt depuis des millénaires !
Sa première fille la rejoint dans l’aventure lors de sa première grossesse. Elle découvre l’ampleur des travaux de sa mère et prend conscience que tous ces conseils doivent être transmis au plus grand nombre. Elles ouvrent alors l’institut de Gasquet en 2010 à Paris, une salle à Tokyo en 2012, créent une méthodologie, un site, un cadre pour les formateurs et développe des formations en France et à travers le monde. En 2018, c’est au tour de sa seconde fille, avocate, de rejoindre l’aventure familiale. Aujourd’hui l’institut de Gasquet forme plus de 2000 stagiaires par an, professionnels de santé et du sport, en France et à l’étranger. Bernadette sort un livre tous les six mois, tous plus intéressant les uns que les autres !
Ses recherches ont changé la vie de beaucoup de gens, des femmes en particulier, en révolutionnant le milieu de l’obstétrique et des pratiques corporelles.
Pour information, le film sur les positions d’accouchement est en accès gratuit sur Youtube.